FARREL
Tasting the shame, hoping to get lost
Je le confesse, je ne connaissais Joseph
FARREL ni d’Eve ni d’Adam. Je l’avoue,
je ne me suis jamais trop intéressé à la bande dessinée érotique ou
pornographique. L’enthousiasme de l’auteur de ce « beau » livre
(formellement de prime abord) a piqué ma curiosité. Les quelques dessins,
entrevus partiellement pour cause de pudibonderie totalitaire des réseaux
sociaux, ont éveillé en moi une
curiosité grandissante, tel un boulimique face à de la pâtisserie fraiche il me fallait dévorer (des yeux) cet ouvrage.
Le 15 mars dernier, je rencontrais Christophe BIER, à la fois auteur et éditeur
de Farrel pour en faire l’acquisition. Ce titre, Farrel, court, abrupt et incisif
augurait d’un contenu bien plus subversif et sulfureux. Cet achat, au domicile
du Dr BIER, permettait à la fois de limiter au maximum les intermédiaires et de
m’entretenir avec lui de la genèse de ce
livre. Christophe BIER me raconta ce jour-là sa grande fierté d’avoir édité cet
artbook, à ses yeux, sa plus belle publication et de sa mise en exergue de
l’œuvre de Joseph FARRELL, il m’exprima son contentement du résultat sur le
fond et la forme. Il faut dire que les textes signés Dominique FORMA et
Christophe BIER cernent la personnalité et
le parcours de ce personnage marginal et mystérieux et argumentent
autour d’un corpus et d’une projection en chapitres (« Tu enfanteras dans
la douleur », « Meubles en Formica », « La mariée était
trop laide », etc.) sur la production de ce dessinateur. Corolaire des
images fascinantes, les textes traversent les dessins et prolongent leurs
répercussions dans nos imaginaires. Je ne suis pas sorti indemne de la lecture
de Farrel, à la fois captivé,
interloqué, excité, bouleversé et dérangé par des tableaux explicites. Farrell
a un don : celui de rendre la souffrance prégnante, d’exprimer explicitement
la douleur en quelques coups de crayons, de faire ressentir le moindre frisson
extatique. Certains dessins arrêtent la course du temps, nous y plongeons tel
Narcisse dans son reflet, comme irrémédiablement attirés, inexorablement
envahis de sentiments antagonistes, figés dans l’observation méticuleuse des
détails les plus troublants. Je suis resté parfois de longues minutes dans la contemplation d’un visage meurtri,
d’un sexe outragé, d’une poitrine transpercée ou compressée. L’artiste repousse
les limites de la perversité et nous transforme (malgré nous mais également
avec notre complicité, c’est l’une de ses forces) en voyeurs. Il ne se soucie
ni des tabous ni de la morale, s’affranchissant des codes et de l’endoctriment
sociétal. A une époque où la pire des censures, l’autocensure, gagne chaque
jour du terrain et nous renferme les uns et les autres dans des modèles de plus
en plus exigus, cloisonnant notre liberté, l’édition d’un tel livre nous prouve
que dans la noirceur la plus ténébreuse nait la plus insoumise des libertés
créatives. Plus de 200 dessins, en grande partie inédits ou reproduits d’après
des originaux agrémentent ce recueil d’environ 200 pages. Un achat
indispensable.
Didier LEFEVRE
FARREL,
Textes de Christophe BIER ET Dominique FORMA, Christophe Bier Editions, 2017.
70 euros.
Tirage
limité à 600 exemplaires
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