TERREUR SUR
LA LAGUNE
Un
film d’Antonio BIDO (1978)
Titre
original : Solamente Nero
Titre
anglais : The Bloodstained shadow
Titre
espagnol : Sombra sangrienta
Scénario: Antonio BIDO, Marisa
ANDALO, Domenico MALAN
Photo: Mario VULPIANI
Musique: Stelvio CIPRIANI
Montage: Amedeo GIOMINI
Avec Lino CAPOLICCHIO, Stefania
CASINI, Massimo SERATO, Juliette MAYNIEL, Luigi CASELATTO, Attilo DUSE,
Gianfranco BULLO
VHS:
Hollywood Vidéo / DEC
DVD/
Blu Ray : Le Chat qui fume
|
Malgré la centaine (voire davantage) de gialli
évoqués dans nos pages, nous n’avions pas encore consacré un chapitre au
captivant Terreur sur la lagune
réalisé en 1978 par le peu prolifique Antonio BIDO (7 films au compteur
seulement dont 2 gialli, l’autre
s’avérant Il gatto dagli occhi di giada
(cf. Médusa Fanzine n°20 !). La très belle édition du Chat qui fume me
permet de réparer cette omission.
Avec la fin des années 70 s’annonce le déclin
du giallo, un genre « feu de paille » dont l’incandescence paroxystique
(entre 1968 et 1975) nous a révélé quelques chefs d’œuvre et conféré à ce genre
une aura quasi mystique encore bien vivace à l’heure de la marvelisation du cinoche, des CGI et du found-footage. Aussi incroyable que cela puisse paraitre, le giallo
a marqué au fer rouge notre cinéphilie, créant un folklore reconnaissable entre
tous (une unité de thèmes dirons-nous) et offrant un statut culte à certaines
bandes qui n’en demandaient pas tant, rattachées parfois par capilotraction extrême au corpus giallesque.
Ces incunables, pas toujours inintéressants, servaient la plupart du temps à
faire mousser les fins connaisseurs, quelques happy few (dont je fais partie)
qui veulent tous les avoir vus : surtout ceux que personne n’a
visionnés ! C’est ainsi, le giallo
entretient et cultive les pires penchants des monomaniaques :
collectionnite aigue, adulation aveugle et tout un cortège de petites tares
finalement moins graves qu’une infection sexuellement transmissible mais tout
aussi démangeantes.
Solamente
nero n’appartient pas à la catégorie des invisibles, des raretés à dénicher
sous le sabot d’une pouliche puisque, déjà aux glorieuses heures des vidéoclubs,
nous pouvions le visionner, édité par deux fois qu’il fût : par Hollywood
vidéo (Terreur sur la Lagune) et DEC
(sous le titre mystérieux d’Ombres
sanguinaires, traduction plutôt inspirée du titre anglais). Des versions
hélas écourtées et souffrant d’un doublage français calamiteux (le personnage
de Stefania CASINI principalement). Heureusement pour nous, le chat qui fume ne
se contente pas de ronronner mais édite des combos Blu-Ray / DVD à faire pâlir
la plus blême des paires de fesses. Enfin, nous pouvons visionner dans une copie digne de ce nom une
version intégrale de cet excellent long-métrage. Si les scènes additionnelles
ne constituent pas des séquences de suspense ou de meurtres (du moins dans leur
modus operandi), elles donnent plus de corps à une intrigue qui reprend les
principales antiennes du genre (l’élément pictural déterminant, le souvenir
traumatique refoulé de l’enfance, les notables corrompus, les secrets de
polichinelle tus et la profonde et cupide noirceur de l’âme humaine). Nous
sommes naturellement en terrain connu, dans les chemins balisés d’un genre très
codifié. Or, en 1978, il convient d’y ajouter une once d’originalité, BIDO s’en
accommode en situant son récit à Venise,
pas la Venise des cartes postales et des touristes nippons qui kodakent tout ce qui passe dans leur
champ de vision mais une ville lugubre, humide (pléonasme), grise et hors du
temps. Un environnement qui sied parfaitement pour créer une atmosphère
étrange. En outre, un peu comme Pupi AVATI avec La Maison aux fenêtres qui rient, Antonio BIDO réalise un giallo
provincial en opposition au canon du genre plus friand d’une certaine
bourgeoisie urbaine et décadente (ou encore d’une certaine jetset noceuse et oisive). Nous ne croisons
que des traîne-misère dans le frimas des ruelles du Venise de BIDO, des gueules
patibulaires, des tronches aigries et des existences meurtries par des deuils
ineffaçables. Ce n’est pas la foule des grands jours. Antonio BIDO nous épargne
même le souverain poncif de l’envol des pigeons idiots de la place Saint Marc, rien que pour ça, nous
l’adoubons ! Autre point commun
avec La Maison aux fenêtres qui rient
et pas des moindres, le héros se nomme
Stefano et est interprété par le même comédien (Lino CAPOLICCHIO) renforçant
l’analogie entre les deux œuvres.
Stefano, un prof de maths, revient se gondoler
à Venise (désolé moi aussi j’aime les clichés). Il y retrouve son frangin Paolo
(incroyable Craig HILL au regard pâle comme un soleil d’hiver plus habitué aux
chevauchées des westerns européens qu’à la défroque d’un homme d’église),
prêtre dans la cité lacustre. Lors du voyage, il fait la connaissance de Sandra
(Stefania CASINI), une peintre revenant aussi sur les Terres de son enfance.
Ils filent bientôt le bel amour sans doute revigorés par l’air mortifère
ambiant. Un soir, alors que l’orage fait rage (et c’est tout ce que nous lui
demandons), Don Paolo assiste impuissant à un meurtre par étranglement devant
son presbytère. Dans l’averse, il ne peut déceler le visage de l’assassin mais
ce dernier se pensant démasqué envoie des messages au curé, des messages tapés
sur une vieille machine à écrire dont le T est défectueux (détail important et
nous le savons : le diable est dans les détails).
Bientôt, d’autres assassinats ont lieu, aussi
variés que violents. Qui donc peut en vouloir à cette communauté de tordus (un
Comte pédophile, une faiseuse d’ange, une vieille dame handicapée, un médecin
corrompu, une médium maitre-chanteuse) ? Est-ce le père rongé par l’alcool
de la fille lâchement occise il y a des années de cela et dont le crime a été
étouffé ? Est-ce le fils dégénéré (Gianfranco BULLO) de celle qui pratique
des avortements sur des mineures (troublante Juliette MAYNIEL) ? La
solution apparait comme au commissaire Bourrel dans Les cinq dernières minutes dans un Deus ex-machina expiatoire
traditionnel du genre. Cela permet également à BIDO de rendre un hommage
(volontaire ?) à l’un des pères fondateurs ou inspirateurs du genre, j’ai
nommé Alfred HITCHCOCK via une séquence rappelant l’apex de Sueurs Froides. Je n’en écris pas plus
pour ne pas déflorer la virginité de l’intrigue et laisser la surprise à ceux
qui n’auraient pas encore vu le film.
Notons tout de même que si le scénario n’évite
pas quelques redites par rapport aux productions précédentes, il réserve tout
de même quelques surprises et, surtout, il s’autorise quelques coups de griffes
à l’encontre de la société italienne sclérosée par des tensions intestines et à
bout de souffle lors des années de plomb. Une pauvre femme vient ainsi
quémander de l’aide auprès du curé pour qu’il interfère auprès d’un aristocrate
pédophile. Faut dire que les carabiniers sont plus doués pour les calembours
homophobes que pour protéger leurs administrés. Don Paolo se fait joyeusement
envoyer sur les roses par le Comte Pedrazzi (Massimo SERRATO) dont le sentiment
d’impunité témoigne de la gangrène sociétale. Stefano agit comme un grain de
sable dans une belle mécanique, son éloignement lui permet, en outre, de mettre
à jour les secrets les plus inavouables de ce petit monde. Seule la love story
entre le prof et la peintre s’avère un peu trop artificielle, un peu trop
plaquée, posée comme pour contenter la midinette qui se serait aventurée dans
un cinéma par hasard. La scène d’amour, sur une peau de bête devant la
cheminée, frôle le ridicule et n’évite pas le risible. D’autant que Stefania
CASINI, plate comme une limande, n’a pas le corps sensuel d’une FENECH ou d’une
BOUCHET. C’est là où le bât blesse, arguerons quelques esprits grincheux. En
effet, Terreur sur la lagune n’est
pas très bandant et ne donne pas dans le sexy. Cela aurait sans nul doute nui à
l’homogénéité du métrage. BIDO semble visiblement plus inspiré par quelques
moments de tensions bien sentis : une caméra subjective qui suit Sandra
dans les venelles de la Cité, le curé aux prises avec un agresseur dans un
cimetière le soir tombé.
Il
convient de souligner un autre atout favorisant ce cachet de mystère
ténébreux : la musique de Stelvio CIPRIANI, alternant entre musique
électronique quasi industrielle et des mélodies plus traditionnelles. Cela joue
indéniablement sur l‘atmosphère générale du métrage. Un délice de bande-son que
vous pourrez écouter à la nuit tombée dans votre maisonnée puisque Le chat qui
fume a eu l’idée ingénieuse de joindre la B.O du film à son combo. Du très bel
ouvrage assurément, un joli écrin pour un film qui mérite d’être redécouvert
comme beaucoup de gialli des dernières années de la décennie prodigieuse,
beaucoup plus palpitants que ce que l’on a écrit la plupart du temps.
Didier LEFEVRE
Chronique initialement publiée dans le Médusa Fanzine n°28,
toujours disponible même s'il n'en reste vraiment plus beaucoup.
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