"Now i can see black birds from the other side" (Baphomet Sunrise, Norma Loy)
Cela fait désormais plusieurs années que le cinéma d'Aurélia Mengin et Médusa Fanzine sont liés, plusieurs années que Médusa ouvre ses pages à l’œuvre hors du commun de la réunionnaise à l'origine du festival Même pas peur, sis sur l'île volcanique. Depuis, sa présence au sommaire constitue un "fil rouge" et j'éprouve une certaine fierté à avoir été le premier à me pencher sur ses productions y décelant une singularité qui ne laisse personne indifférent. Certes, ses films n'entrent dans aucune catégorie, ils ne se définissent pas à l'aune des étiquettes et des genres et son dernier ouvrage, Fornacis en est encore la preuve criante.
Long métrage entièrement auto-produit, indépendant, underground, échappant aux réseaux traditionnels et ankylosés de la distribution et de la production, Fornacis s'avère impossible à résumer... Chacun, en fonction de ses ressentis, y éprouvera ses propres émotions, y projettera ses propres fantasmes , y vivra sa propre expérience. Il faut oser pénétrer cet univers construit en dehors des archétypes des genres ultra codifiés qui nous passionnent. Un film d'Aurélia Mengin s'appréhende l'âme à nu, débarrassée des oripeaux conditionnés par le cinéma traditionnel. Certains demeureront sur le seuil de son œuvre, incapables de franchir le pas. Honnêtement, je les plains de toutes mes forces.
Férocement érotique, empreint d'un symbolisme animal, Fornacis est un road-movie intérieur, traversé de par en par par un deuil autant répulsif qu'attractif. Le spectateur, bousculé dans ses représentations, perd le fil du temps et navigue entre le passé, les souvenirs heureux, le présent dans un ailleurs et le futur minéral de son héroïne voyageant dans une voiture de collection (et donc intemporelle). Elle roule en transportant l'urne de son amante défunte. Cette disparition a brisé les miroirs du réel et de l'autre côté c'est un monde fascinant qui l'attire... Au gré des rencontres et des routes empruntées, les stigmates corporels s'étendent sur sa peau comme les taches sur un buvard, transformant son apparence et son existence... Les tableaux se succèdent et forment les chapitres du film.
Il faut prendre la filmographie d'Aurélia Mengin dans son ensemble et, ici comme auparavant, nous retrouvons ses marottes, ses obsessions, ses prédilections : la matière, les corps atteints dans leur intimité, altérés par l'amour plus que par la mort, le travail sur le son, les ambiances surnaturelles, l'expressionnisme, le symbolisme omniprésent. On pense à Fassbinder à la vision de Fornacis, au cinéma de Cattet et Forzani également (notamment pour leurs fascinations et leur fétichisme communs), à David Lynch ou Oshima tout en gardant, fort heureusement, son identité propre.
Le cinéma d'Aurélia Mengin a beau être underground, il n'en est pas moins profondément lumineux, solaire, influencé par l'atmosphère et les couleurs volcaniques de la Réunion. Il s'agit d'un film pictural au sens premier du terme. J'employais plus haut le terme de "tableau", c'est exactement ça, tableaux surréalistes ou expressionnistes, agrémentés par les décors et les costumes. Si les dialogues sont absents, le travail sur le son constitue un habillage important des images : le bruissement du cuir, les cris, la musique, les bruitages. Tout concourt à influencer notre imaginaire.
Il serait injuste de passer sous silence l'interprétation impliquée des comédiens principaux : Anna D'Annunzio, en femme vénéneuse presque louve, Aurélia Mengin dévouée corps et âme à son univers, Philippe Nahon ou encore Emmanuel Bonami, dans le rôle de Wolf (quand je parlais d'animalité....).
Ce premier long-métrage donne encore plus de relief à l'univers d'Aurélia Mengin. Il n'est pas exempt de défauts naturellement mais je préfère en retenir la force créatrice, l'univers singulier et ses choix incompressibles. Je ne serai que trop vous conseiller d'aller le découvrir en salle lors d'une programmation en festival, je crains que pour le moment ce soit le seul moyen de le voir.
(D.L)
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